vendredi 16 août 2013

Swamp Club: Microcosme à la salle de Vedène

Ressemblant non?

 
Bon, d'accord pas tant que ça.
Mais les ruisseaux marécageux que nous croisons pour se rendre à la salle de spectacle de Vedène et son hall vitré sur 3 côtés nous reviennent en tête alors que l'univers de Swamp Club se déploie sur scène.
Ce n'est pas sans raison que la compagnie de Philippe Quesne s'appelle Vivarium Studio. Ses spectacles donnent à voir des personnages évoluant dans un microcosme. Nous les observons vivre, la fable se tisse au fil de leurs interactions. Pas de conflit réel, que des situations quelque peu surréalistes dans lesquels les protagonistes pataugent. Tout l'intérêt de Swamp Club réside en ces liens que nous pouvons tisser entre cet univers étrange et notre quotidien, la société dans laquelle nous évoluons. En effet, le spectateur qui souhaite être tenu en haleine, vivre une profonde catharsis et se faire asséner un coup de théâtre en pleine gueule risque d'être fort déçu puisque tout est exposé, énoncé d'avance, dit et redit dans Swamp Club. On nous énonce le programme de la journée, le plan de sauvetage du marais: on l'exécute, aucune surprise. Les insignes lumineuses mettent le suspense en échec.Il ne nous reste qu'à contempler et, surtout, à établir des réseaux de sens avec autre chose que la scène elle-même, puisque tout y est dévoilé. Les ressemblances physiques entre le lieu dramatique construit sur scène et le lieu de la représentation, en l’occurrence la salle de Vedène, facilitent l'établissement des liens entre la fiction et le réel.
Le choix du lieu de représentation, ici, est mis au service d'une ligne dramaturgique bien précise, celle que le Vivarium Studio préconise généralement. Les réseaux de sens ne s'établissent pas uniquement sur la scène, mais le spectateur, sorti de son état contemplatif après la pièce, est appelé à poursuivre sa réflexion en observant son propre environnement.

dimanche 28 juillet 2013

Mon Avignon à vie...

Je me suis gavée de théâtre jusqu'à en vomir.
Désintoxe par overdose. Non.
Je ne suis pas guérie. Je suis un gouffre sans fond. Un monstre à l'estomac infini.
Plus on me nourrit, plus j'ai faim.

J'ai les neurones usés.
J'ai plus réfléchi sur le théâtre en un mois qu'en trois ans d'université.
Je n'ai pas trouvé la solution.
Qu'est ce que le théâtre?
J'ai essayé.
Je n'ai pas trouvé.
J'ai encore cherché.
Je cherche encore.

Je me suis usé les fesses sur tous les types de sièges possibles.
Alterné toutes les positions assises inimaginables
Pieds nus la plupart du temps.
J'ai dormi.
J'ai dormi pendant Lear is in town. Dormi pendant Le pouvoir des folies théâtrales, Cabaret Varsovie.
Dormi pendant quantité de spectacles du OFF.

Je me suis réveillée en sursault d'avoir compris « Le théâtre c'est... »
J'ai laissé la réponse dans l'obscurité de la salle.
Je cherche encore.

J'ai aimé voir des trucs affreux, mauvais, malhabiles.
J'ai passé mes journées à refaire des mises en scène.
À comprendre le problème.
Je me suis prise pour Dieu.
Pour Robert Lepage.

J'ai été Québécoise. « Ça s'entend! »
J'ai été Québécoise. « C'est trop mignon votre accent. »
J'ai été Québécoise. Oui je suis là uniquement pour le Festival. Pour tout le Festival.
J'ai été Québécoise. De Québec. La ville de Québec.
J'ai été Québécoise. « Alors vous allez adorer! »

Et j'ai adoré. J'ai adoré parcourir la ville, plan en main, pour trouver un nouveau théâtre, planqué dans une ruelle. J'ai adorer faire la file pendant trois quart d'heure pour avoir de bonnes places. Bétail dans la chaleur intense. J'ai adoré le manque d'espace vital. J'ai adoré mon évantail.

J'ai adoré me faire tracter. Tracts. Tracteurs. Tracteurs insistants. Tracteurs malhabiles. Tracteurs drôles. Tracteurs muets. Tracteurs chantants. Tracteurs « Vous êtes du Québec! Ça s'entend! Alors vous allez adorer! »

J'ai adoré. J'ai détesté. J'ai adoré détester.
Je me suis gavée de théâtre jusqu'à en vomir.
Mais j'ai menti. Je n'ai pas vomi.
J'ai tout gardé.
C'est pêle-mêle dans ma tête, mais c'est là.
Et ça attend.
Ça attend plus.
Ça veut encore!
Encore! Encore!
Comme la petite fille durant la pièce pour enfants...

samedi 27 juillet 2013

Questions autour de l'édifice théâtral

Deux spectacles m’ont semblé soulever des critiques intéressantes au cadre que leur impose l’édifice théâtral. Bien que radicalement différents, Le Pouvoir des folies théâtrales de Jan Fabre et Remote Avignon de Stefan Kaegi (Rimini Protokoll) sont des spectacles qui posent un discours sur la pratique théâtrale contemporaine, ses limites et son avenir.

Le Pouvoir des folies théâtrales

Créé en 1984, ce spectacle a été repris avec de nouveaux interprètes. Ce théâtre performatif rend un hommage aux grands moments de l’histoire du théâtre tout en tournant le dos aux traditions d’un art embourgeoisé. Bien que le spectacle soit manifestement daté et ne produise plus l’effet de massue qu’il a pu faire à sa création, on peut reconnaître qu’il soulève encore certaines questions toujours légitimes sur notre rapport au théâtre. Sur la scène de l’Opéra Théâtre, Le Pouvoir des folies théâtrales ressemble à une toile de Malévitch dans un cadre Rococo. Il saute aLe Pouvoir des folies théâtrales, la scène à l’Italienne est retournée contre elle-même : on utilise ses conventions pour mieux y mettre la hache.
ux yeux alors que ce type de cadre, le théâtre à l’Italienne avec toute ses fioritures, ses sièges en velours qui pique et ses colonnes ornées de petits anges, le rouge, l’or et l’ivoire, ce type de cadre, donc, ne convient plus à la pratique théâtrale contemporaine que revendique Fabre. Les performances qu’il orchestre rompent définitivement avec l’illusion généralement représentée sur les scènes à l’Italienne et pointent du doigt ses ornements pompeux et la hiérarchie de la scène et de la salle. Il utilise le front de contacte, par exemple, lors d’une performance où une jeune femme tente de grimper sur scène en se battant, en suppliant, en charmant son bourreau qui lui pose une énigme : « 1876? » Elle doit répondre en enchaînant une série d’évènements marquants de l’histoire du théâtre pour monter sur la scène. Dans une autre séquence, deux acteurs font les funambules les yeux bandés sur le bord de la scène, l’un menaçant l’autre à la pointe d’un couteau. Sur le front de contact, on brise l’illusion théâtrale et on nous présente une mise en jeu réelle des corps des interprètes. Ceux-ci sont privés de leur individualité par le port d’un uniforme : il n’y a pas de vedette, ni de faire-valoir. Dans

Remote Avignon

Ce parcours théâtral audio-phonique de Stefan Kaegi, membre du Rimini Protokoll, se veut beaucoup moins « rentre dedans ». On n’y retrouve pas le ton contestataire du Pouvoir des folies de Jan Fabre, mais la proposition bouscule autant, sinon davantage, notre rapport au lieu théâtral. Loin d’être un gentil théâtre déambulatoire, Remote nous pose beaucoup de questions sur nos rapports à la technologie, aux effets de masse et le libre arbitre. Mais dans quelle mesure est-ce encore du théâtre? Si l’on s’en tient strictement aux définitions du théâtre et de son espace selon Roland Barthes* et Peter Brook*, les participants de Remote Avignon ont réellement droit à du théâtre. Les voix de synthèse nous guident dans un espace donné et orientent notre regard, le hasard fait entrer en « scène » des acteurs (ou du moins des sujets à observer), puis leurs comportements font du sens en rapport à ce que nous entendons dans nos écouteurs. Seule cette technologie est nécessaire pour construire un espace dramatique dans l’imaginaire de chaque individu, qui vit une expérience collective dans Remote. Nul besoin de décor ni d’un édifice avec une scène et des sièges pour cadrer une action, rassembler les regards. De plus, au contraire du Pouvoir des folies de Fabre, qui se centre sur un travail du corps des acteurs, Remote écarte toute participation de comédiens, de sorte que même les voix sont artificielles. En plus de sortir de théâtre des salles, Remote nous confronte à ce qui guète la pratique : le remplacement des corps par les machines et la fabrication d’un théâtre à la chaîne. À Avignon où le Festival OFF a atteint un nombre de spectacles record, l’avenir de la production de spectacles est un enjeux d’un fort intérêt.

jeudi 25 juillet 2013

Cour d'honneur et Avignon à vie : réactiver la mémoire du théâtre

C'est dans un vent de nostalgie que je vis mon premier festival d'Avignon, mes premiers spectacles à la Cour d'honneur du Palais des papes. Pour souligner leurs dix ans de direction artistique, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, dans leur dernière programmation, mettent de l'avant deux pièces-témoignages : Cour d'honneur de Jérôme Bel et Avignon à vie, un texte de Pascal Rambert lu par Denis Podalydès. Ces spectacles font respectivement appel aux souvenirs de spectateurs du festival et à ceux d'un créateur y ayant à la fois assisté et participé. L'objectif : réactiver la mémoire du théâtre, art de l'éphémère par excellence. C'est donc dans un métissage entre les documents peu tangibles que sont les souvenirs écrits et une mise en forme théâtrale qu'on arrive à partager les traces fuyantes du passé du festival.

C'est bien connu, après la fin de la représentation, il ne reste rien du théâtre, que ce qu'en retient le spectateur. (La captation vidéo ne pouvant rendre l'étincelle de vie d'une présence humaine sur scène.) C'est donc un exercice bien intéressant de voir comment le théâtre peut réussir à faire resurgir des bribes du théâtre passé. Bel et Rambert s'y sont pris de façon plutôt semblable, mais avec quelques outils différents. D'abord, tous deux ont situé leur représentation dans la Cour d'honneur, lieu emblématique du festival. Chaque personne ayant assisté à au moins un spectacle dans ce lieu mythique en garde des souvenirs prégnants. C'est donc un terreau propice à la nostalgie et à la résurgence d'une mémoire collective du lieu. Ensuite, tous deux utilisent le témoignage comme matière textuelle. Bel a travaillé avec une quinzaine de spectateurs de tous âges et horizons. Il a discuté avec eux et les a guidés dans l'écriture de leurs souvenirs qu'ils seraient appelés à présenter sur scène. Rambert, lui, a travaillé à partir de sa propre mémoire du festival et a produit un long poème qu'il a fait lire par un comédien connu. La base est donc sensiblement la même. La différence se trouve dans la façon de mettre en forme ces « documents ». Chez Bel, il y a quelque chose d'un peu plus performatif, en ce sens que ce sont les spectateurs qui montent sur la scène pour parler en leur propre nom, alors que Rambert fait appel à quelqu'un d'autre pour lire son texte. De plus, Bel va plus loin dans la réactivation des souvenirs en présentant des extraits de moments invoqués par ses spectateurs-témoins. Par exemple, il fait revivre un moment d'Inferno de Castellucci, ce moment mémorable ou un alpiniste a grimpé à mains nues le mur du fond de la Cour d'honneur. Quel bonheur tout de même de pouvoir vivre (ou revivre) cet instant en direct! Rambert, quant à lui, mise tout sur la poésie du texte. L'acteur n'est qu'un canal vocal. L'heure même de la représentation, 1h30 AM, est propice à se laisser porter par la voix, les mots et les images qu'ensemble, ils font surgir dans l'imagination du spectateur.

Ainsi, dans un cas comme dans l'autre, le metteur en scène a choisi de partager certains témoignages en lien avec le festival pour garder vivant le souvenir que les spectateurs portent en eux. Ça aurait pu donner deux conférences. La différence se trouve dans la forme artistique qu'ils prennent. Les procédés utilisés par les metteurs en scène (ou en lecture) dirigent le regard du spectateur, organisent la représentation. C'est dans cette ligne directrice que ce qui aurait pu être simple témoignage devient théâtre. Par la poésie, l'organisation temporelle des prises de parole et la reconstitution (« reenactment ») de moments théâtraux forts, par exemple. De plus, si l'essence du théâtre est le conflit, dans le cas de Cour d'honneur et d'Avignon à vie, celui-ci se trouve dans la tension entre la remémoration du passé par l'art du présent.


lundi 22 juillet 2013

Le pouvoir des folies théâtrales (dansées et performatives)

En bonne universitaire héritière de la modernité, j'ai passé beaucoup de temps à vouloir découper cette pièce, mettre les bons morceaux dans les bonnes cases. C'est un jeu qui me plaît beaucoup. Je ne me suis peut-être pas rendue bien loin dans la vie depuis l'enfant qui plaçait le rond, le carré, le triangle et l'étoile dans leurs trous...Ici, trois trous: théâtre, danse et performance. Et beaucoup de morceaux dans ces 4h30 de spectacle. Je vous épargne mon tableau un peu sec et tenterai d'utiliser cette catégorisation pour tirer quelques conclusions plus pertinentes que « Ceci est du théâtre! » . En pus que le titre, donc le créateur, nous l'indique très clairement. Enfin, avant d'entrer dans le vif du sujet, j'aimerais noter que ce besoin de classer, qui me vient rarement avec autant de force que pour cette oeuvre, est très certainement dû à l'esthétique très contrôlée, symétrique et organisée du Pouvoir des folies théâtrales. 

Puisque le titre le veut ainsi, j'aborderai d'abord l'aspect théâtral de l'oeuvre, à commencer par sa structure. En effet, la pièce est construite en tableaux, liés entre eux par une dramaturgie, une ligne directrice qui est celle choisie par Fabre. Ela participe à créer cette forte impression de contrôle que m'a laissée l'oeuvre. Certes, elle ne raconte pas une histoire, mais elle suit un certain schéma avec une exposition, des temps plus forts, des retours au calme, certains motifs sont repris tout au long de la pièce et la conclusion reprend des éléments du début. Dans cette structure évoluent des personnages. Ils ne sont ni très construits psychologiqueent, ni des stéréotypes. Ce sont des icônes, des figures emblématiques. La Femme à qui la scène est interdite. L'Amoureuse blessée. L'Adonis statue. Si la structure est la coquille accueillant le conflit (essence du théâtre), les personnages sont les déclencheurs d dit conflit. Le dernier élément théâtral d'importance est le texte. Il ne s'agit pas ici d'une fable, mais de ce qui s'approche davantage d'une liste. Une série de réféences sur l'histoire du théâtre et de la danse. Un matériau qui ouvre sur l'assez grande place laissée à la parole. Une parole répétée jusqu'à l'excès et théâtralisée dans ses variations de ton, de rythme et même de langue. Pour moi, dans Le pouvoir des folies théâtrales, le théâtre est une base, une structure d'acceuil.

À l'intérieur d'elle se glisse la danse qui s'inscrit comme matière. Le corps de l'oeuvre. Sa présence se manifeste principalement dans la performance athlétique des interprètes, dans l'identification kinsesthésique que ressent le spectateur face à ces corps en mouvement. Il assiste a différents numéros dansés comme une valse entre les deux hommes statues par exemple. De plus, l'ensemble du programme gestuel de la pièce est caractérisé par les mouvements de groupe, les déplacements de masse et la créations de figures géométriques dans l'espace. Enfin, la danse se manifeste aussi dans le décor et les costumes. Du premier on peut dire qu'il s'agit d'un plancher de danse, immense plateau vde et lisse. Et des costumes, c'est la nudité qui marque, ce rapport au corps si différent de celui qu'on a au théâtre. En danse, le corps nu, c'est la possibilité d'apprécier la beauté du mouvement. Corps nu, scène nue, mouvements de groupe et athlétisme sont la chair de cette oeuvre, le tout mis en forme par le théâtre.

Finalement, il convient de poser la question de la performance. Question complexe s'il en est. Du moins, à moi, elle pose problème. Une chose est sûre la performance est présente dans la réception, dans le contrat entre la scène et la salle. Comme mentionné plus haut, le spectateur s'identifie physiquement aux interprètes. On peut donc dire qu'il s'identifie à l'action. Il imagine le risque encourru, la douleur, etc. Là où la question de la performance devient problématique, c'est à savoir si ce risque est réel. Les acteurs cherchent ils réellement et personnellement à aller au bout de leurs limites? Le contrôle dans la structure n'est-il pas un indice de la fausseté de ce qui paraît performatif? Oui, les acteurs courrent sur place en disant leur texte pendant d'interminables minutes et on voit l'épuisement. Mais ils arrêtent tous en même temps, avant même que l'un d'eux puisse s'écrouler de fatigue. Aucune limites ne semble réellement atteinte...À mon avis, la performativité se trouve davantage dans la réception que dans l'acte. Ce qui m'amène à parler de la présence marquée de sensationnalise dans cette pièce. C'est comme si on se moquait un peu du spectateuren lui offrant tout ce qu'il aime voir, du spectaculaire: des assiettes éclatées, des numéros de chiens savants, des grenouilles écrasées et des artistes qui ont l'air de prendre des risques. Le tout placé dans un cadre de lenteur extrème et de répétition jusqu'au dégoût. On lui offre son idée préconçue de la performance, mais on lui souffle des indice à l'oreille pour qu'il comprenne que c'est de la frime, du toc. 

Si je résume: structure théâtrale, matière danse et réception performative. Les morceaux sont dans les bons trous? Et maintenant? J'ai un peu mieux compris le sens de l'oeuvre, tout simplement. C'est une méthode qui en vaut une autre, parfois un peu réductrice, parfois un peu nécessaire dans le processus de réflexion!

dimanche 21 juillet 2013

Exhibit B - Oeuvre mobile, un arrêt à la Chapelle des Célestins



Brett Bailey et sa compagnie Third World Bunfight  travaillent depuis 2010 à une série « d’installations humaines » qu’il a nommé Exhibit A, B et C. En droit, les « exhibits » sont des éléments de preuves, des pièces à convictions. L’œuvre se présente comme une série de tableaux vivants où les interprètes, immobiles, sont exposés tels des spécimens dans un musée ethnologique. Les descriptions qui accompagnent chaque tableau décrivent les atrocités engendrées par le colonialisme de l’Europe sur le continent Africain et la ségrégation  persistante jusqu’à nos jours. Ma comparse Claudia Blouin pose une réflexion intéressante sur notre position « d’observateur » dans un autre article sur ce blog. Il est vrai qu’il était difficile de se détacher, autant émotionnellement que rationnellement, de cette œuvre.

Frapper au bon endroit

Un remaniement constant s’effectue à partir de l’idée originale d’Exhibit A. De pays en pays, Brett Bailey auditionne de nouveaux interprètes, des noirs, natifs ou immigrés, victimes de ségrégation à différents niveaux et retravaille les tableaux en se nourrissant de leurs regards et expériences, mais aussi en fonction du lieu de représentation. L’œuvre conserve certaines traces de son passage en Autriche, en Hollande, en Allemagne avant d’arriver en Avignon, où les interprètes de la France y ont ajouté leur grain de sel. Le metteur en scène modifie aussi quelques références historiques. En rencontre avec le public, il souligne que presque tous les pays ont leur lot de morts déportés par avion. Au Festival, un tableau fera référence à un évènement survenu à l’aéroport Charles De Gaulle, par exemple.
J’ai eu la chance de questionner Brett Bailey sur le parcours de la série Exhibit dans le monde. Sa réponse fut fort intéressante :
            À Vienne, l’œuvre a été présentée dans une aile abandonnée du Musée d’Ethnologie du Palais Impérial de Hofburg. Ce musée contient notamment des butins de guerre pillés par les empereurs européens en Afrique et en Amérique du Sud. Le fameux tableau du déporté, que j’ai évoqué plus tôt, était placé devant une fenêtre dont la vue donnait sur l’édifice parlementaire.
À Brussel, la première idée avait été de se produire au Palais de justice, dont la construction s’est faite sous le règne de Léopold II, deuxième roi des Belges, instigateur de la colonisation du continent africain par les puissances européennes. Devant le refus de l’administration du Palais de justice, Brett Bailey se tourne vers l’Église Jésus, d’où l’on peut voir le Jardin Léopold II et dont le couvent a abrité des sans papiers pendant de longues années.
Ces deux exemples sont particulièrement marquants, mais cette même recherche du lieu de représentation où l’œuvre trouverait le plus de résonnance s’effectue à chacun des déplacements. L’œuvre en tournée est en constante évolution. Ces tableaux sont donc vivants de multiples façons. Non seulement puisqu’il y a présence humaine et agissante, malgré leur immobilité, par l’échange de regards avec le sujet observant, mais aussi parce ces tableaux sont teintés à la fois de l’apport des nouveaux interprètes, des expériences précédentes et du regard du spectateur au bagage culturel différent.
Les choix de lieux à Avignon étaient relativement restreints compte tenu de la petitesse de la ville. Le premier choix était l’ancienne Banque de France, place de l’Horloge, édifice abandonné depuis quelques années. Les normes de sécurité strictes pendant le Festival ont rendu impossible ce projet. La chapelle des Célestins s’est alors présentée comme le lieu avignonnais de prédilection pour Exhibit B. Brett Bailey justifie ce choix, entre autres choses, pour l’implication des missionnaires chrétiens dans la colonisation et l’exploitation des richesses de l’Afrique. Cependant, l’architecture du lieu m’a semblé d’un intérêt beaucoup plus grand. La chapelle en ruine permettait la division de quatre espaces participant à la dramaturgie :
1.      Les 20 spectateurs sont invités à s’asseoir dans le portique de la chapelle et prendre un numéro. Entassés sur des petits bancs dans ce qui ressemblait un peu à l’intérieur d’un conteneur à déchet ou un « bunker », nous étions appelés au hasard, un à la fois, à intervalles réguliers. Cette attente générait une certaine frustration, une impatience et de l’inconfort. Ainsi, les couples et les groupes d’amis étaient divisés. Une certaine forme de compétition pouvait même se faire sentir : « Serais-je le prochain, ou le tout dernier à être appelé? ». Quels que soit les sentiments éprouvés par chacun, ce processus forçait l’introspection et préparait le spectateur à recevoir la prochaine étape de manière très individuelle et personnelle.
2.      Au passage de la porte, les ruines de la chapelle se dévoilent, grandioses mais terrifiantes. Le sol caillouteux présente quelques dénivellations et les arches et les colonnes forment des alcôves qui accueillent chaque tableau. Isolés, ils prenaient une valeur iconique, un peu comme un chemin de croix. D’ailleurs, de grands rideaux noirs sont disposés de sorte qu’un chemin défini impose le sens de circulation des spectateurs parmi les tableaux.
Le tableau ci-dessus constituait le cœur (chœur) de l’œuvre. Les chants des interprètes résonnaient dans la chapelle comme des chants d’église. La dimension spirituelle de l’œuvre en entier était ainsi renforcée. Plus l’on avance dans la chapelle, plus les dates sur les panneaux de descriptions se rapprochent de notre temps. Il m’a semblé que pour cette raison, il m’était de plus en plus difficile de lire ces panneaux et de regarder les interprètes dans les yeux…
3.      Avant de sortir de la chapelle, nous passons un rideau derrière lequel les photos des interprètes sont affichées aux murs, accompagnées d’un commentaire de leur cru. Vif retour à la « réalité » : il fait bon de voir le vrai visage des interprètes, d’accéder à leur quotidien, de se détacher un peu des fortes images auxquelles nous étions confrontés quelques minutes plus tôt. Nous sommes invités, nous aussi, à écrire un commentaire sur l’œuvre, nos impressions, ou même nos expériences du racisme au quotidien. Cet espace a fait office de soupape où déverser le trop plein d’émotion et d’images.
4.      Heureusement, puisque le soleil éclatant sur la place des Corps-Saints nous happe violemment à la sortie de la chapelle. Dans la chaleur, les corps mous des gens sur les terrasses et le marasme du quotidien. Dur contraste entre le dedans et le dehors, difficile de poursuivre son chemin sans que l’œuvre continue aussi le sien dans nos têtes.
En somme, le travail de Brett Bailey avec les Exhibits trouve son intérêt dans la vivification des images par le choix approprié du lieu de représentation. La tournée joue un rôle important dans le processus de création, car chaque lieu et chaque public/interprète, y contribue successivement. L’architecture de la Chapelle des Célestins à Avignon a joué un rôle important dans la perception des images proposées et l’emplacement dans la cité a aussi permit un contraste intéressant suscitant l’émotion.

samedi 20 juillet 2013

Pas toute compris (Vision différente sur Non-Tutta)



Ça y est les amis. Le grand jour est arrivé: je suis devenue une star du Festival d'Avignon! Oui, oui, je vous le dis! Vous ne me croyez pas? Voilà, je vous explique.

Je me rends à la Chapelle des Pénitents Blancs, là où sera présentée la performance (c'est pas moi qui le dit, c'est écrit dans le programme) Non-Tutta de Silvia Albarella et Anne Tismer. J'attends en file (placement libre) et je lis le programme: entrevue avec les deux créatrices. Intéressant, mais je ne suis pas certaine de tout comprendre. J'attends. Normalement, l'entrée des spectateurs se fait 30 minutes d'avance au Festival d'Avignon, sauf exception. Faut croire que ceci est une exception, il reste 15 minutes avant le début de la représentation. Finalement, on entre dans la chapelle. On se fait arrêter une fois nos billets déchirés. L'accès aux sièges est bloqué. On attend. Une dame passe, demande à des groupes de personnes s'ils veulent bien venir sur la scène. Le groupe derrière moi hésite. À côté de moi, un homme seul dit: «Bah oui, pourquoi pas!» (avec des mots et un accent français). La dame me pointe aussi, puisque je suis également seule et je dis aussi: «Bah oui, pourquoi pas!». La fille qui étudie la place du spectateur au théâtre qui se fait inviter sur scène, ça commence déjà bien! Elle a besoin de 6 personnes. Trois avaient déjà accepté, cinq incluant le monsieur et moi. Manque plus qu'une. Une fois tous les spectateurs qui doivent monter sur la scène trouvés, l'accès aux sièges est libéré. C'est la folie pour se prendre une bonne place (placement libre) et les six personnes sélectionnées (dont moi) montent sur la scène et se font indiquer un banc, identique à ceux des autres spectateurs, du côté jardin de la scène (à gauche). Comme il n'y a que cinq places sur le banc (nous sommes six), la dame nous indique également un banc (sans dossier celui-là) situé entre le banc des autres spectateurs et une chaise sur laquelle se trouvent des vêtements. Tout le monde hésite, alors je m'y assois. Pourquoi pas! D'ici, j'ai une belle vue sur toute la salle (vue que l'on a rarement en tant que spectateur) et une vue sur la scène (évidement parce que je suis assise dessus). Sur la scène, tous les décors sont blancs: plancher et trois murs. Il y a quelques chaises, un tabouret rouge, un micro, un coin musique côté cour (à droite) avec un musicien. Un piano aussi de notre côté, mais à l'avant-scène (plus proche du reste du public). Sur le tabouret, une drôle de chose est assise. Une personne, vraisemblablement, assise dans un gros cocon de laine. Seules ses jambes en dépassent. Dans le programme, on les appelle les «monstres». Le musicien vient nous voir: «Tout va bien?» Nous répondons tous que oui. Il retourne à sa place, regarde la salle. Tout le monde est assis et prêt, vraisemblablement. Il dit: «Anne, ils sont ici» et le spectacle commence.

Si je n'avais pas lu le programme avant le spectacle et que vous m'aviez demandé qu'est-ce qu'était le spectacle à la fin, je vous aurais répondu: «Je sais pas.» Déjà, d'où j'étais assise, je n'entendais pas tout ce que disait la performeuse (appelons-la , puisqu'elle me tournait le dos. Elle parlait plutôt au public dans la salle, même si elle se retournait quelques fois pour nous inclure aussi. Au début de la pièce, c'est comme une grande réception. Elle remercie tout le monde d'être là, fait passer le message d'usage du début d'une pièce, mais en disant que l'on peut faire ce qu'on veut: se lever, parler au téléphone, etc. Ensuite, elle demande à une spectatrice dans la salle si elle va bien, s'il ne fait pas trop chaud. Ils ont un petit dialogue comme ça, puis la performeuse a proposé du thé à tout le monde et a demandé qui en voulait. Quelques mains se sont levées. 150, elle conclut après avoir «compté». Elle nous explique alors comment elle fait le thé (bouilloire, thé instantané, tasses) qu'elle fait dans le vide, aidé par une trame préenregistrée contrôlée par le musicien. Elle nous sert donc tous du thé invisible dans des tasses invisibles. Malheureusement, il en manque (de tasses et de thé). Bref, le spectacle débute ainsi. Puis, la performeuse nous parle de son trouble, «Non-Tutta», qui est «un concept psychanalytique désignant une personne qui n'est pas entière, qui subit un manque» (tiré de l'entrevue avec les créatrices dans le programme). Donc, même si elle est entourée de personnes, elle a l'impression qu'il lui manque quelque chose, mais elle ne supporte pas la présence d'autres personnes autour d'elle. Même avec le musicien, qui est à la fois amant, amis, personne proche, bruiteur et musicien, évidemment, elle entretient un genre de relation amour/haine, où elle veut qu'il s'occupe d'elle, mais pas de cette façon-là. Donc le spectacle est constitué de chansons, bruitage originaux durant les histoires (on fait craquer une bouteille de plastique pour simuler des os qui cassent), de vidéo et de musique. De textes sur sa condition et ses complexités.

La spectatrice que j'étais pendant ce temps-là était plus ou moins utilisée. La performeuse est venue quelques fois s'asseoir à côté de moi et m'a regardé dans les yeux, mais à part cela, je crois qu'on servait surtout à l'envahir encore plus qu'elle ne le sentait déjà. Donc, pour l'utilisation des spectateurs sur la scène, à mon avis c'était plus ou moins réussi, surtout que je n'ai pas réussi à entendre tout ce qu'elle disait, puisqu'elle était souvent dos à moi et son discours n'est pas vraiment venu me chercher. Pour ce qui est de l'utilisation des spectateurs dans la salle, cela a été quand même bien fait, parce que le contact qu'elle avait était souvent avec le public, et celui-ci, contrairement à ce qui se fait d'ordinaire au théâtre, était éclairé la majorité du temps. De la scène, on pouvait donc toujours le voir, ce qui accentuait le fait que la performeuse soit envahie dans son espace, mais aussi le fait que les spectateurs ne pouvaient pas se cacher. La seule fois où j'ai remarqué que la lumière sur le public s'était éteinte, c'est une fois où la performeuse chantait une chanson comme une star de rock, et dans des spectacles de rock, les lumières sont effectivement éteintes sur le public. Ceci lui donnait aussi une certaine intimité, une impression, peut-être, que le public ne la voyait pas. Bref, le spectateur était surtout le confident de la performeuse au syndrome Non-Tutta.

Malheureusement, je ne suis pas réellement devenue une star du Festival d'Avignon, même si je suis montée sur la scène de la Chapelle des Pénitents Blancs. J'ai cependant eu une belle expérience qui m'a permis d'écrire et d'analyser encore la place que peut occuper le spectateur au théâtre, même si je n'ai définitivement pas tout compris et saisi la pièce. Meilleure chance la prochaine fois.