Ça
y est les amis. Le grand jour est arrivé: je suis devenue une star du Festival
d'Avignon! Oui, oui, je vous le dis! Vous ne me croyez pas? Voilà, je vous
explique.
Je
me rends à la Chapelle des Pénitents Blancs, là où sera présentée la
performance (c'est pas moi qui le dit, c'est écrit dans le programme) Non-Tutta de Silvia Albarella et Anne
Tismer. J'attends en file (placement libre) et je lis le programme: entrevue
avec les deux créatrices. Intéressant, mais je ne suis pas certaine de tout
comprendre. J'attends. Normalement, l'entrée des spectateurs se fait 30 minutes
d'avance au Festival d'Avignon, sauf exception. Faut croire que ceci est une
exception, il reste 15 minutes avant le début de la représentation. Finalement,
on entre dans la chapelle. On se fait arrêter une fois nos billets déchirés.
L'accès aux sièges est bloqué. On attend. Une dame passe, demande à des groupes
de personnes s'ils veulent bien venir sur la scène. Le groupe derrière moi
hésite. À côté de moi, un homme seul dit: «Bah oui, pourquoi pas!» (avec des
mots et un accent français). La dame me pointe aussi, puisque je suis également
seule et je dis aussi: «Bah oui, pourquoi pas!». La fille qui étudie la place
du spectateur au théâtre qui se fait inviter sur scène, ça commence déjà bien!
Elle a besoin de 6 personnes. Trois avaient déjà accepté, cinq incluant le
monsieur et moi. Manque plus qu'une. Une fois tous les spectateurs qui doivent
monter sur la scène trouvés, l'accès aux sièges est libéré. C'est la folie pour
se prendre une bonne place (placement libre) et les six personnes sélectionnées
(dont moi) montent sur la scène et se font indiquer un banc, identique à ceux
des autres spectateurs, du côté jardin de la scène (à gauche). Comme il n'y a
que cinq places sur le banc (nous sommes six), la dame nous indique également
un banc (sans dossier celui-là) situé entre le banc des autres spectateurs et
une chaise sur laquelle se trouvent des vêtements. Tout le monde hésite, alors
je m'y assois. Pourquoi pas! D'ici, j'ai une belle vue sur toute la salle (vue
que l'on a rarement en tant que spectateur) et une vue sur la scène (évidement
parce que je suis assise dessus). Sur la scène, tous les décors sont blancs:
plancher et trois murs. Il y a quelques chaises, un tabouret rouge, un micro,
un coin musique côté cour (à droite) avec un musicien. Un piano aussi de notre
côté, mais à l'avant-scène (plus proche du reste du public). Sur le tabouret,
une drôle de chose est assise. Une personne, vraisemblablement, assise dans un
gros cocon de laine. Seules ses jambes en dépassent. Dans le programme, on les
appelle les «monstres». Le musicien vient nous voir: «Tout va bien?» Nous
répondons tous que oui. Il retourne à sa place, regarde la salle. Tout le monde
est assis et prêt, vraisemblablement. Il dit: «Anne, ils sont ici» et le
spectacle commence.
Si
je n'avais pas lu le programme avant le spectacle et que vous m'aviez demandé
qu'est-ce qu'était le spectacle à la fin, je vous aurais répondu: «Je sais pas.»
Déjà, d'où j'étais assise, je n'entendais pas tout ce que disait la performeuse
(appelons-la , puisqu'elle me tournait le dos. Elle parlait plutôt au public
dans la salle, même si elle se retournait quelques fois pour nous inclure
aussi. Au début de la pièce, c'est comme une grande réception. Elle remercie
tout le monde d'être là, fait passer le message d'usage du début d'une pièce,
mais en disant que l'on peut faire ce qu'on veut: se lever, parler au
téléphone, etc. Ensuite, elle demande à une spectatrice dans la salle si elle
va bien, s'il ne fait pas trop chaud. Ils ont un petit dialogue comme ça, puis la
performeuse a proposé du thé à tout le monde et a demandé qui en voulait.
Quelques mains se sont levées. 150, elle conclut après avoir «compté». Elle
nous explique alors comment elle fait le thé (bouilloire, thé instantané,
tasses) qu'elle fait dans le vide, aidé par une trame préenregistrée contrôlée
par le musicien. Elle nous sert donc tous du thé invisible dans des tasses
invisibles. Malheureusement, il en manque (de tasses et de thé). Bref, le
spectacle débute ainsi. Puis, la performeuse nous parle de son trouble,
«Non-Tutta», qui est «un concept psychanalytique désignant une personne qui
n'est pas entière, qui subit un manque» (tiré de l'entrevue avec les créatrices
dans le programme). Donc, même si elle est entourée de personnes, elle a
l'impression qu'il lui manque quelque chose, mais elle ne supporte pas la
présence d'autres personnes autour d'elle. Même avec le musicien, qui est à la
fois amant, amis, personne proche, bruiteur et musicien, évidemment, elle
entretient un genre de relation amour/haine, où elle veut qu'il s'occupe
d'elle, mais pas de cette façon-là. Donc le spectacle est constitué de
chansons, bruitage originaux durant les histoires (on fait craquer une
bouteille de plastique pour simuler des os qui cassent), de vidéo et de
musique. De textes sur sa condition et ses complexités.
La
spectatrice que j'étais pendant ce temps-là était plus ou moins utilisée. La
performeuse est venue quelques fois s'asseoir à côté de moi et m'a regardé dans
les yeux, mais à part cela, je crois qu'on servait surtout à l'envahir encore
plus qu'elle ne le sentait déjà. Donc, pour l'utilisation des spectateurs sur
la scène, à mon avis c'était plus ou moins réussi, surtout que je n'ai pas
réussi à entendre tout ce qu'elle disait, puisqu'elle était souvent dos à moi
et son discours n'est pas vraiment venu me chercher. Pour ce qui est de
l'utilisation des spectateurs dans la salle, cela a été quand même bien fait,
parce que le contact qu'elle avait était souvent avec le public, et celui-ci,
contrairement à ce qui se fait d'ordinaire au théâtre, était éclairé la majorité
du temps. De la scène, on pouvait donc toujours le voir, ce qui accentuait le
fait que la performeuse soit envahie dans son espace, mais aussi le fait que
les spectateurs ne pouvaient pas se cacher. La seule fois où j'ai remarqué que
la lumière sur le public s'était éteinte, c'est une fois où la performeuse
chantait une chanson comme une star de rock, et dans des spectacles de rock,
les lumières sont effectivement éteintes sur le public. Ceci lui donnait aussi
une certaine intimité, une impression, peut-être, que le public ne la voyait
pas. Bref, le spectateur était surtout le confident de la performeuse au
syndrome Non-Tutta.
Malheureusement,
je ne suis pas réellement devenue une star du Festival d'Avignon, même si je
suis montée sur la scène de la Chapelle des Pénitents Blancs. J'ai cependant eu
une belle expérience qui m'a permis d'écrire et d'analyser encore la place que
peut occuper le spectateur au théâtre, même si je n'ai définitivement pas tout compris et saisi la pièce. Meilleure chance la prochaine fois.
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