samedi 27 juillet 2013

Questions autour de l'édifice théâtral

Deux spectacles m’ont semblé soulever des critiques intéressantes au cadre que leur impose l’édifice théâtral. Bien que radicalement différents, Le Pouvoir des folies théâtrales de Jan Fabre et Remote Avignon de Stefan Kaegi (Rimini Protokoll) sont des spectacles qui posent un discours sur la pratique théâtrale contemporaine, ses limites et son avenir.

Le Pouvoir des folies théâtrales

Créé en 1984, ce spectacle a été repris avec de nouveaux interprètes. Ce théâtre performatif rend un hommage aux grands moments de l’histoire du théâtre tout en tournant le dos aux traditions d’un art embourgeoisé. Bien que le spectacle soit manifestement daté et ne produise plus l’effet de massue qu’il a pu faire à sa création, on peut reconnaître qu’il soulève encore certaines questions toujours légitimes sur notre rapport au théâtre. Sur la scène de l’Opéra Théâtre, Le Pouvoir des folies théâtrales ressemble à une toile de Malévitch dans un cadre Rococo. Il saute aLe Pouvoir des folies théâtrales, la scène à l’Italienne est retournée contre elle-même : on utilise ses conventions pour mieux y mettre la hache.
ux yeux alors que ce type de cadre, le théâtre à l’Italienne avec toute ses fioritures, ses sièges en velours qui pique et ses colonnes ornées de petits anges, le rouge, l’or et l’ivoire, ce type de cadre, donc, ne convient plus à la pratique théâtrale contemporaine que revendique Fabre. Les performances qu’il orchestre rompent définitivement avec l’illusion généralement représentée sur les scènes à l’Italienne et pointent du doigt ses ornements pompeux et la hiérarchie de la scène et de la salle. Il utilise le front de contacte, par exemple, lors d’une performance où une jeune femme tente de grimper sur scène en se battant, en suppliant, en charmant son bourreau qui lui pose une énigme : « 1876? » Elle doit répondre en enchaînant une série d’évènements marquants de l’histoire du théâtre pour monter sur la scène. Dans une autre séquence, deux acteurs font les funambules les yeux bandés sur le bord de la scène, l’un menaçant l’autre à la pointe d’un couteau. Sur le front de contact, on brise l’illusion théâtrale et on nous présente une mise en jeu réelle des corps des interprètes. Ceux-ci sont privés de leur individualité par le port d’un uniforme : il n’y a pas de vedette, ni de faire-valoir. Dans

Remote Avignon

Ce parcours théâtral audio-phonique de Stefan Kaegi, membre du Rimini Protokoll, se veut beaucoup moins « rentre dedans ». On n’y retrouve pas le ton contestataire du Pouvoir des folies de Jan Fabre, mais la proposition bouscule autant, sinon davantage, notre rapport au lieu théâtral. Loin d’être un gentil théâtre déambulatoire, Remote nous pose beaucoup de questions sur nos rapports à la technologie, aux effets de masse et le libre arbitre. Mais dans quelle mesure est-ce encore du théâtre? Si l’on s’en tient strictement aux définitions du théâtre et de son espace selon Roland Barthes* et Peter Brook*, les participants de Remote Avignon ont réellement droit à du théâtre. Les voix de synthèse nous guident dans un espace donné et orientent notre regard, le hasard fait entrer en « scène » des acteurs (ou du moins des sujets à observer), puis leurs comportements font du sens en rapport à ce que nous entendons dans nos écouteurs. Seule cette technologie est nécessaire pour construire un espace dramatique dans l’imaginaire de chaque individu, qui vit une expérience collective dans Remote. Nul besoin de décor ni d’un édifice avec une scène et des sièges pour cadrer une action, rassembler les regards. De plus, au contraire du Pouvoir des folies de Fabre, qui se centre sur un travail du corps des acteurs, Remote écarte toute participation de comédiens, de sorte que même les voix sont artificielles. En plus de sortir de théâtre des salles, Remote nous confronte à ce qui guète la pratique : le remplacement des corps par les machines et la fabrication d’un théâtre à la chaîne. À Avignon où le Festival OFF a atteint un nombre de spectacles record, l’avenir de la production de spectacles est un enjeux d’un fort intérêt.

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