Deux spectacles m’ont semblé soulever des critiques
intéressantes au cadre que leur impose l’édifice théâtral. Bien que
radicalement différents, Le Pouvoir des
folies théâtrales de Jan Fabre et Remote
Avignon de Stefan Kaegi (Rimini Protokoll) sont des spectacles qui posent
un discours sur la pratique théâtrale contemporaine, ses limites et son avenir.
Le Pouvoir des folies
théâtrales
Créé en 1984, ce spectacle a été repris avec de nouveaux
interprètes. Ce théâtre performatif rend un hommage aux grands moments de l’histoire
du théâtre tout en tournant le dos aux traditions d’un art embourgeoisé. Bien
que le spectacle soit manifestement daté et ne produise plus l’effet de massue
qu’il a pu faire à sa création, on peut reconnaître qu’il soulève encore
certaines questions toujours légitimes sur notre rapport au théâtre. Sur la
scène de l’Opéra Théâtre, Le Pouvoir des
folies théâtrales ressemble à une toile de Malévitch dans un cadre Rococo.
Il saute aLe Pouvoir des folies théâtrales, la
scène à l’Italienne est retournée contre elle-même : on utilise ses conventions
pour mieux y mettre la hache.
ux yeux alors que ce type de cadre, le théâtre à l’Italienne avec
toute ses fioritures, ses sièges en velours qui pique et ses colonnes ornées de
petits anges, le rouge, l’or et l’ivoire, ce type de cadre, donc, ne convient
plus à la pratique théâtrale contemporaine que revendique Fabre. Les
performances qu’il orchestre rompent définitivement avec l’illusion généralement
représentée sur les scènes à l’Italienne et pointent du doigt ses ornements
pompeux et la hiérarchie de la scène et de la salle. Il utilise le front de
contacte, par exemple, lors d’une performance où une jeune femme tente de
grimper sur scène en se battant, en suppliant, en charmant son bourreau qui lui
pose une énigme : « 1876? » Elle doit répondre en enchaînant une
série d’évènements marquants de l’histoire du théâtre pour monter sur la scène.
Dans une autre séquence, deux acteurs font les funambules les yeux bandés sur
le bord de la scène, l’un menaçant l’autre à la pointe d’un couteau. Sur le
front de contact, on brise l’illusion théâtrale et on nous présente une mise en
jeu réelle des corps des interprètes. Ceux-ci sont privés de leur individualité
par le port d’un uniforme : il n’y a pas de vedette, ni de faire-valoir. Dans
Remote Avignon
Ce parcours théâtral audio-phonique de Stefan Kaegi, membre
du Rimini Protokoll, se veut beaucoup moins « rentre dedans ». On n’y
retrouve pas le ton contestataire du Pouvoir
des folies de Jan Fabre, mais la proposition bouscule autant, sinon
davantage, notre rapport au lieu théâtral. Loin d’être un gentil théâtre
déambulatoire, Remote nous pose beaucoup
de questions sur nos rapports à la technologie, aux effets de masse et le libre
arbitre. Mais dans quelle mesure est-ce encore du théâtre? Si l’on s’en tient
strictement aux définitions du théâtre et de son espace selon Roland Barthes*
et Peter Brook*, les participants de Remote
Avignon ont réellement droit à du théâtre. Les voix de synthèse nous
guident dans un espace donné et orientent notre regard, le hasard fait entrer
en « scène » des acteurs (ou du moins des sujets à observer), puis
leurs comportements font du sens en rapport à ce que nous entendons dans nos
écouteurs. Seule cette technologie est nécessaire pour construire un espace
dramatique dans l’imaginaire de chaque individu, qui vit une expérience
collective dans Remote. Nul besoin de
décor ni d’un édifice avec une scène et des sièges pour cadrer une action, rassembler
les regards. De plus, au contraire du Pouvoir
des folies de Fabre, qui se centre sur un travail du corps des acteurs, Remote écarte toute participation de comédiens,
de sorte que même les voix sont artificielles. En plus de sortir de théâtre des
salles, Remote nous confronte à ce
qui guète la pratique : le remplacement des corps par les machines et la
fabrication d’un théâtre à la chaîne. À Avignon où le Festival OFF a atteint un
nombre de spectacles record, l’avenir de la production de spectacles est un
enjeux d’un fort intérêt.
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