Je déteste quand les metteurs en scène
prennent les textes au pied de la lettre. Ça donne des mises en
scène bien réalisées, qui partagent les mots de l'auteur au
public...mais qui sont tellement sages! (pour ne pas dire
ennuyantes.) J'ai vu, depuis le début du Festival OFF, une
adaptation d'un roman que j'avais déjà lu (et bien aimé), Quand
souffle le vent du nord, et deux
pièces de Matei Visniec, soit Le mot progrès dans la
bouche de ma mère sonnait terriblement faux et
Petit boulot pour vieux clown.
Ces trois spectacles sont loin de m'avoir déplu, mais ils m'ont
laissée avec une impression d'incomplétude ou de redite...Même
lorsque je n'avais jamais lu le texte avant, les signes de la
représentation (que ce soit le jeu des acteurs, le choix des
accessoires, etc.) me semblaient souvent redondants, comme s'ils ne
disaient rien d'autre que ce que le texte disait déjà. Des signes
perroquets.
Ce
n'est donc pas étonnant que la quatrième pièce du OFF à laquelle
j'ai assisté m'ait renversée. Enfin une mise en scène qui allait à
contre-courant du texte!
Je
vous mets brièvement en contexte : Mangez-le si vous
voulez est une adaptation
théâtrale d'un roman qui raconte comment, en 1870, un jeune homme,
Alain, apprécié de tous les gens de sa région et s'apprêtant à
partir défendre son pays contre la Prusse malgré un léger handicap
physique, se fait battre à mort puis brûler et manger par ses amis
à cause d'un malentendu.
Il
s'agit à la base d'un texte très lourd, assez violent même. Des
détails atroces et dégoutants y sont relatés. La compagnie Fouic
Théâtre propose une mise en scène complètement décalée parce
qu'extrêmement ludique et humoristique par instants. Un très bon
exemple de ce décalage (pas particulièrement drôle celui-là, par
contre) est la scène où Anna, l'objet de désir d'Alain, se donne à
Petit Bassou, 14 ans, pour l'empêcher de tuer Alain. Le narrateur
raconte comment elle remonte sa robe, ce pendant que l'actrice
déboutonne son chemisier. Les deux gestes signifient la même chose
au final, mais en créant une opposition (bas vers haut vs. haut vers
bas), la répétition inutile est évitée. Je ne pourrais pas dire
que cela ajoutait une couche de sens, mais à l'intérieur, ça m'a
fait quelque chose, ce décalage. De même lorsque le narrateur
décrit la jouissance d'Anna alors que l'actrice est complètement
apathique. La force de ce moment tout en contradiction! «
Jouer à contre texte. »
Cette phrase de Ionesco me revient sans cesse pour se confirmer de
plus en plus à chaque fois. La tension qui est créée dans ces
petits instants d'opposition (ou quand on prend les choses à
rebrousse-poil, comme l'affirmait Dieudonné Niangouna lors d'une
conférence à laquelle j'ai assisté) apporte cette énergie
essentielle pour faire vivre le texte. C'est la décharge électrique
qui l'anime.
Mangez-le
si vous voulez
est une pièce pleine de ces décharges qu'elle réussit à propager
grâce au ludisme qui y est employé. Chaque élément présent sur
scène est une partie de l'immense machine à jouer qu'est la pièce.
D'abord, le décor. Il s'agit d'une cuisine des années 1950 dont
chaque recoin est utilisé au maximum et de toutes les façons
inimaginables. Ensuite, les acteurs. La femme est utilisée comme un
accessoire de jeu au même titre que le décor qu'elle manipule tout
en cuisinant. Ses gestes viennent ponctuer les propos du narrateur.
On mitraille, elle hache violemment les carottes, on coupe une main,
elle claque une porte d'armoire, etc. Et comme elle cuisine
réellement, une odeur appétissante se dégage de la scène, présage
de la fin cannibale du récit. Le narrateur, quant à lui, joue tous
les personnages, même celui d'Anna et de la mère d'Alain, dont les
corps appartiennent à l'actrice, mais la voix à l'acteur. C'est un
conteur extrêmement physique qui fait face aux spectateurs. En plus
de narrer et de jouer les personnages, il manipule le décor et même,
est parfois manipulé par lui. Le conte est un choix plus qu'adéquat
qui participe au ludisme de la représentation tout en créant des
contrastes intéressants. Celui qui se fait battre est le même que
ceux qui battent. Il est à la fois Alain et le maire qui propose
qu'on le mange.
Enfin,
la musique. Deux musiciens sont présents sur scène. Tout comme le
décor, ils ponctuent le récit de sons, de musique d'ambiance et
parfois même de faits historiques. Loin d'être mis de côté comme
simple supplément de la représentation, ils fusionnent complètement
avec les autres éléments de jeu. Par exemple, quand le narrateur
raconte les coups donnés à Alain, les musiciens se lèvent pour
mimer la scène à l'aide de télécommandes qui activent des sons de
coups. L'ensemble forme une musique.
Bref,
on peut dire que tous les éléments présents sur scène dans
Mangez-le
si vous voulez
sont accessoires. Mais des accessoires de jeu qui participent à une
grande machine à contrastes et à ponctuation. Et c'est grâce à
cette machine que le décalage d'avec le texte est possible. Un
décalage nécessaire pour garder le texte en vie!
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