lundi 15 juillet 2013

Mangez-le si vous voulez : machine à jouer

Je déteste quand les metteurs en scène prennent les textes au pied de la lettre. Ça donne des mises en scène bien réalisées, qui partagent les mots de l'auteur au public...mais qui sont tellement sages! (pour ne pas dire ennuyantes.) J'ai vu, depuis le début du Festival OFF, une adaptation d'un roman que j'avais déjà lu (et bien aimé), Quand souffle le vent du nord, et deux pièces de Matei Visniec, soit Le mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux et Petit boulot pour vieux clown. Ces trois spectacles sont loin de m'avoir déplu, mais ils m'ont laissée avec une impression d'incomplétude ou de redite...Même lorsque je n'avais jamais lu le texte avant, les signes de la représentation (que ce soit le jeu des acteurs, le choix des accessoires, etc.) me semblaient souvent redondants, comme s'ils ne disaient rien d'autre que ce que le texte disait déjà. Des signes perroquets.

Ce n'est donc pas étonnant que la quatrième pièce du OFF à laquelle j'ai assisté m'ait renversée. Enfin une mise en scène qui allait à contre-courant du texte!


Je vous mets brièvement en contexte : Mangez-le si vous voulez est une adaptation théâtrale d'un roman qui raconte comment, en 1870, un jeune homme, Alain, apprécié de tous les gens de sa région et s'apprêtant à partir défendre son pays contre la Prusse malgré un léger handicap physique, se fait battre à mort puis brûler et manger par ses amis à cause d'un malentendu.

Il s'agit à la base d'un texte très lourd, assez violent même. Des détails atroces et dégoutants y sont relatés. La compagnie Fouic Théâtre propose une mise en scène complètement décalée parce qu'extrêmement ludique et humoristique par instants. Un très bon exemple de ce décalage (pas particulièrement drôle celui-là, par contre) est la scène où Anna, l'objet de désir d'Alain, se donne à Petit Bassou, 14 ans, pour l'empêcher de tuer Alain. Le narrateur raconte comment elle remonte sa robe, ce pendant que l'actrice déboutonne son chemisier. Les deux gestes signifient la même chose au final, mais en créant une opposition (bas vers haut vs. haut vers bas), la répétition inutile est évitée. Je ne pourrais pas dire que cela ajoutait une couche de sens, mais à l'intérieur, ça m'a fait quelque chose, ce décalage. De même lorsque le narrateur décrit la jouissance d'Anna alors que l'actrice est complètement apathique. La force de ce moment tout en contradiction! « Jouer à contre texte. » Cette phrase de Ionesco me revient sans cesse pour se confirmer de plus en plus à chaque fois. La tension qui est créée dans ces petits instants d'opposition (ou quand on prend les choses à rebrousse-poil, comme l'affirmait Dieudonné Niangouna lors d'une conférence à laquelle j'ai assisté) apporte cette énergie essentielle pour faire vivre le texte. C'est la décharge électrique qui l'anime.

Mangez-le si vous voulez est une pièce pleine de ces décharges qu'elle réussit à propager grâce au ludisme qui y est employé. Chaque élément présent sur scène est une partie de l'immense machine à jouer qu'est la pièce. D'abord, le décor. Il s'agit d'une cuisine des années 1950 dont chaque recoin est utilisé au maximum et de toutes les façons inimaginables. Ensuite, les acteurs. La femme est utilisée comme un accessoire de jeu au même titre que le décor qu'elle manipule tout en cuisinant. Ses gestes viennent ponctuer les propos du narrateur. On mitraille, elle hache violemment les carottes, on coupe une main, elle claque une porte d'armoire, etc. Et comme elle cuisine réellement, une odeur appétissante se dégage de la scène, présage de la fin cannibale du récit. Le narrateur, quant à lui, joue tous les personnages, même celui d'Anna et de la mère d'Alain, dont les corps appartiennent à l'actrice, mais la voix à l'acteur. C'est un conteur extrêmement physique qui fait face aux spectateurs. En plus de narrer et de jouer les personnages, il manipule le décor et même, est parfois manipulé par lui. Le conte est un choix plus qu'adéquat qui participe au ludisme de la représentation tout en créant des contrastes intéressants. Celui qui se fait battre est le même que ceux qui battent. Il est à la fois Alain et le maire qui propose qu'on le mange.
Enfin, la musique. Deux musiciens sont présents sur scène. Tout comme le décor, ils ponctuent le récit de sons, de musique d'ambiance et parfois même de faits historiques. Loin d'être mis de côté comme simple supplément de la représentation, ils fusionnent complètement avec les autres éléments de jeu. Par exemple, quand le narrateur raconte les coups donnés à Alain, les musiciens se lèvent pour mimer la scène à l'aide de télécommandes qui activent des sons de coups. L'ensemble forme une musique.

Bref, on peut dire que tous les éléments présents sur scène dans Mangez-le si vous voulez sont accessoires. Mais des accessoires de jeu qui participent à une grande machine à contrastes et à ponctuation. Et c'est grâce à cette machine que le décalage d'avec le texte est possible. Un décalage nécessaire pour garder le texte en vie!


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