jeudi 25 juillet 2013

Cour d'honneur et Avignon à vie : réactiver la mémoire du théâtre

C'est dans un vent de nostalgie que je vis mon premier festival d'Avignon, mes premiers spectacles à la Cour d'honneur du Palais des papes. Pour souligner leurs dix ans de direction artistique, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, dans leur dernière programmation, mettent de l'avant deux pièces-témoignages : Cour d'honneur de Jérôme Bel et Avignon à vie, un texte de Pascal Rambert lu par Denis Podalydès. Ces spectacles font respectivement appel aux souvenirs de spectateurs du festival et à ceux d'un créateur y ayant à la fois assisté et participé. L'objectif : réactiver la mémoire du théâtre, art de l'éphémère par excellence. C'est donc dans un métissage entre les documents peu tangibles que sont les souvenirs écrits et une mise en forme théâtrale qu'on arrive à partager les traces fuyantes du passé du festival.

C'est bien connu, après la fin de la représentation, il ne reste rien du théâtre, que ce qu'en retient le spectateur. (La captation vidéo ne pouvant rendre l'étincelle de vie d'une présence humaine sur scène.) C'est donc un exercice bien intéressant de voir comment le théâtre peut réussir à faire resurgir des bribes du théâtre passé. Bel et Rambert s'y sont pris de façon plutôt semblable, mais avec quelques outils différents. D'abord, tous deux ont situé leur représentation dans la Cour d'honneur, lieu emblématique du festival. Chaque personne ayant assisté à au moins un spectacle dans ce lieu mythique en garde des souvenirs prégnants. C'est donc un terreau propice à la nostalgie et à la résurgence d'une mémoire collective du lieu. Ensuite, tous deux utilisent le témoignage comme matière textuelle. Bel a travaillé avec une quinzaine de spectateurs de tous âges et horizons. Il a discuté avec eux et les a guidés dans l'écriture de leurs souvenirs qu'ils seraient appelés à présenter sur scène. Rambert, lui, a travaillé à partir de sa propre mémoire du festival et a produit un long poème qu'il a fait lire par un comédien connu. La base est donc sensiblement la même. La différence se trouve dans la façon de mettre en forme ces « documents ». Chez Bel, il y a quelque chose d'un peu plus performatif, en ce sens que ce sont les spectateurs qui montent sur la scène pour parler en leur propre nom, alors que Rambert fait appel à quelqu'un d'autre pour lire son texte. De plus, Bel va plus loin dans la réactivation des souvenirs en présentant des extraits de moments invoqués par ses spectateurs-témoins. Par exemple, il fait revivre un moment d'Inferno de Castellucci, ce moment mémorable ou un alpiniste a grimpé à mains nues le mur du fond de la Cour d'honneur. Quel bonheur tout de même de pouvoir vivre (ou revivre) cet instant en direct! Rambert, quant à lui, mise tout sur la poésie du texte. L'acteur n'est qu'un canal vocal. L'heure même de la représentation, 1h30 AM, est propice à se laisser porter par la voix, les mots et les images qu'ensemble, ils font surgir dans l'imagination du spectateur.

Ainsi, dans un cas comme dans l'autre, le metteur en scène a choisi de partager certains témoignages en lien avec le festival pour garder vivant le souvenir que les spectateurs portent en eux. Ça aurait pu donner deux conférences. La différence se trouve dans la forme artistique qu'ils prennent. Les procédés utilisés par les metteurs en scène (ou en lecture) dirigent le regard du spectateur, organisent la représentation. C'est dans cette ligne directrice que ce qui aurait pu être simple témoignage devient théâtre. Par la poésie, l'organisation temporelle des prises de parole et la reconstitution (« reenactment ») de moments théâtraux forts, par exemple. De plus, si l'essence du théâtre est le conflit, dans le cas de Cour d'honneur et d'Avignon à vie, celui-ci se trouve dans la tension entre la remémoration du passé par l'art du présent.


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