C'est dans un vent de nostalgie que je
vis mon premier festival d'Avignon, mes premiers spectacles à la
Cour d'honneur du Palais des papes. Pour souligner leurs dix ans de
direction artistique, Hortense Archambault et Vincent Baudriller,
dans leur dernière programmation, mettent de l'avant deux
pièces-témoignages : Cour d'honneur de Jérôme Bel et
Avignon à vie, un texte de Pascal Rambert lu par Denis
Podalydès. Ces spectacles font respectivement appel aux souvenirs de
spectateurs du festival et à ceux d'un créateur y ayant à la fois
assisté et participé. L'objectif : réactiver la mémoire du
théâtre, art de l'éphémère par excellence. C'est donc dans un
métissage entre les documents peu tangibles que sont les souvenirs
écrits et une mise en forme théâtrale qu'on arrive à partager les
traces fuyantes du passé du festival.
C'est bien connu, après la fin de la
représentation, il ne reste rien du théâtre, que ce qu'en retient
le spectateur. (La captation vidéo ne pouvant rendre l'étincelle de
vie d'une présence humaine sur scène.) C'est donc un exercice bien
intéressant de voir comment le théâtre peut réussir à faire
resurgir des bribes du théâtre passé. Bel et Rambert s'y sont pris
de façon plutôt semblable, mais avec quelques outils différents.
D'abord, tous deux ont situé leur représentation dans la Cour
d'honneur, lieu emblématique du festival. Chaque personne ayant
assisté à au moins un spectacle dans ce lieu mythique en garde des
souvenirs prégnants. C'est donc un terreau propice à la nostalgie
et à la résurgence d'une mémoire collective du lieu. Ensuite, tous
deux utilisent le témoignage comme matière textuelle. Bel a
travaillé avec une quinzaine de spectateurs de tous âges et
horizons. Il a discuté avec eux et les a guidés dans l'écriture de
leurs souvenirs qu'ils seraient appelés à présenter sur scène.
Rambert, lui, a travaillé à partir de sa propre mémoire du
festival et a produit un long poème qu'il a fait lire par un
comédien connu. La base est donc sensiblement la même. La
différence se trouve dans la façon de mettre en forme
ces «
documents ».
Chez Bel, il y a quelque chose d'un peu plus performatif, en ce sens
que ce sont les spectateurs qui montent sur la scène pour parler en
leur propre nom, alors que Rambert fait appel à quelqu'un d'autre
pour lire son texte. De plus, Bel va plus loin dans la réactivation
des souvenirs en présentant des extraits de moments invoqués par
ses spectateurs-témoins. Par exemple, il fait revivre un moment
d'Inferno de Castellucci, ce moment mémorable ou un alpiniste a
grimpé à mains nues le mur du fond de la Cour d'honneur. Quel
bonheur tout de même de pouvoir vivre (ou revivre) cet instant en
direct! Rambert, quant à lui, mise tout sur la poésie du texte.
L'acteur n'est qu'un canal vocal. L'heure même de la représentation,
1h30 AM, est propice à se laisser porter par la voix, les mots et
les images qu'ensemble, ils font surgir dans l'imagination du
spectateur.
Ainsi,
dans un cas comme dans l'autre, le metteur en scène a choisi de
partager certains témoignages en lien avec le festival pour garder
vivant le souvenir que les spectateurs portent en eux. Ça aurait pu
donner deux conférences. La différence se trouve dans la forme
artistique qu'ils prennent. Les procédés utilisés par les metteurs
en scène (ou en lecture) dirigent le regard du spectateur,
organisent la représentation. C'est dans cette ligne directrice que
ce qui aurait pu être simple témoignage devient théâtre. Par la
poésie, l'organisation temporelle des prises de parole et la
reconstitution («
reenactment
»)
de moments théâtraux forts, par exemple. De plus, si l'essence du
théâtre est le conflit, dans le cas de Cour
d'honneur
et d'Avignon à
vie,
celui-ci se trouve dans la tension entre la remémoration du passé
par l'art du présent.
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