lundi 8 juillet 2013

Todo el cielo sobre la tierra: théâtre performatif

J'aime, au théâtre, lorsqu'un créateur choisi de travailler avec plusieurs références qui, à la base, semblent n'avoir rien en commun et qu'il crée à partir d'elles un univers cohérent, sensible et qui nous amène dans l'intimité de l'artiste. Wendy de Peter Pan, les vers de Wordsworth, la tuerie d'Utoya et la ville de Shanghai. Angélica Liddell met en scène ces quatre éléments aux provenances diverses en créant des liens là où il ne semblait pas y en avoir. Des liens qui lui sont très personnels. Dans la première partie de la pièce, elle construit des images poétiques en travaillant avec ses acteurs ainsi qu'avec deux danseurs de valse et un orchestre. L'île d'Utoya devient alors Neverland et Wendy, une prostituée à Shanghai. À ce métissage référentiel est associé un important métissage culturel et artistique. En effet, les interprètes sont espagnols et chinois, la musique jouée en direct est principalement orientale et la danse est occidentale. Tel que mentionné précédemment, cela crée un univers poétique unique à Liddell. Dans cette même première partie, les clés de compréhension ne sont pas données d'emblée au spectateur qui doit, comme face à un poème, recevoir l'oeuvre de façon plus sensible qu'intellectuelle et se laisser porter par les images.

Puis, Liddell retire son costume de Wendy et enfile ses souliers de performeuse. Deuxième partie. Elle prend le micro, la parole en son propre nom. S'ensuit un long monologue où elle explique son incapacité à vivre avec les autres, sa peur de vieillir et d'être abandonnée et son dégoût pour la maternité. C'est durant cette deuxième partie particulièrement lourde à recevoir que tous les morceaux du casse-tête se mettent en place. Les liens qui semblaient tordus entre les références culturelles prennent sens dans la prise de parole publique de l'artiste.

On peut alors parler d'un théâtre performatif au sens où l'entend Josette Féral dans son article Entre performance et théâtralité : le théâtre performatif. Effectivement, l'acteur, dans Todo el cielo sobre la tierra, devient un performeur et la transformation se déroule sous les yeux du spectateur lorsqu'il quitte son rôle pour prendre la parole en son nom (non seulement cela se produit-il chez Liddell, mais aussi chez les danseurs de valse qui sont appelés à expliquer leur cheminement personnel à la fin de la première partie.) De même, l'action prend plus d'importance dans la pièce qu'une quelconque recherche d'illusion : les gestes posés par les acteurs sont symboliques, voire rituels. L'image créée par ces gestes est au centre de la représentation bien plus que le texte, du moins dans la première partie. Par exemple, à plusieurs reprises, les deux actrices jouant le rôle de Wendy agitent les bras comme pour s'envoler. Cela fait référence à Peter Pan et évoque l'aspiration à s'arracher du monde réel, à l'éternelle jeunesse.


Cet alliage entre la théâtralité d'une dramaturgie prenant appuie sur les différentes références citées plus haut et la performativité d'une oeuvre centrée sur les actions et les images portées par des acteurs agissant parfois en leur propre nom produit une œuvre complexe qui exprime efficacement l'imaginaire de Liddell. Le désir de communiquer qui semblait manquer dans une œuvre comme Re : Walden est ici très présent puisque l'artiste réussit à mettre en scène, pour le spectateur, une partie de son univers intime.

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