J'aime, au théâtre, lorsqu'un
créateur choisi de travailler avec plusieurs références qui, à la
base, semblent n'avoir rien en commun et qu'il crée à partir
d'elles un univers cohérent, sensible et qui nous amène dans
l'intimité de l'artiste. Wendy de Peter Pan, les vers de Wordsworth,
la tuerie d'Utoya et la ville de Shanghai. Angélica Liddell met en
scène ces quatre éléments aux provenances diverses en créant des
liens là où il ne semblait pas y en avoir. Des liens qui lui sont
très personnels. Dans la première partie de la pièce, elle
construit des images poétiques en travaillant avec ses acteurs ainsi
qu'avec deux danseurs de valse et un orchestre. L'île d'Utoya
devient alors Neverland et Wendy, une prostituée à Shanghai. À ce
métissage référentiel est associé un important métissage
culturel et artistique. En effet, les interprètes sont espagnols et
chinois, la musique jouée en direct est principalement orientale et
la danse est occidentale. Tel que mentionné précédemment, cela
crée un univers poétique unique à Liddell. Dans cette même
première partie, les clés de compréhension ne sont pas données
d'emblée au spectateur qui doit, comme face à un poème, recevoir
l'oeuvre de façon plus sensible qu'intellectuelle et se laisser
porter par les images.
Puis, Liddell retire son costume de
Wendy et enfile ses souliers de performeuse. Deuxième partie. Elle
prend le micro, la parole en son propre nom. S'ensuit un long
monologue où elle explique son incapacité à vivre avec les autres,
sa peur de vieillir et d'être abandonnée et son dégoût pour la
maternité. C'est durant cette deuxième partie particulièrement
lourde à recevoir que tous les morceaux du casse-tête se mettent en
place. Les liens qui semblaient tordus entre les références
culturelles prennent sens dans la prise de parole publique de
l'artiste.
On peut alors parler d'un théâtre
performatif au sens où l'entend Josette Féral dans son article
Entre performance et théâtralité : le théâtre
performatif. Effectivement,
l'acteur, dans Todo el cielo sobre la tierra, devient
un performeur et la transformation se déroule sous les yeux du
spectateur lorsqu'il quitte son rôle pour prendre la parole en son
nom (non seulement cela se produit-il chez Liddell, mais aussi chez
les danseurs de valse qui sont appelés à expliquer leur cheminement
personnel à la fin de la première partie.) De même, l'action prend
plus d'importance dans la pièce qu'une quelconque recherche
d'illusion : les gestes posés par les acteurs sont symboliques,
voire rituels. L'image créée par ces gestes est au centre de la
représentation bien plus que le texte, du moins dans la première
partie. Par exemple, à plusieurs reprises, les deux actrices jouant
le rôle de Wendy agitent les bras comme pour s'envoler. Cela fait
référence à Peter Pan et évoque l'aspiration à s'arracher du
monde réel, à l'éternelle jeunesse.
Cet
alliage entre la théâtralité d'une dramaturgie prenant appuie sur
les différentes références citées plus haut et la performativité
d'une oeuvre centrée sur les actions et les images portées par des
acteurs agissant parfois en leur propre nom produit une œuvre
complexe qui exprime efficacement l'imaginaire de Liddell. Le désir
de communiquer qui semblait manquer dans une œuvre comme
Re : Walden est ici très
présent puisque l'artiste réussit à mettre en scène, pour le
spectateur, une partie de son univers intime.
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