Exhibit B est une œuvre complexe qui, dans son métissage entre le théâtre (par la présentation de tableaux vivants) et l'exposition muséale (les tableaux vivants sont aussi installations), pose la question du type de spectateur. Du moins, moi-même, en visitant l'oeuvre, j'ai resssenti un grand malaise davantage causé par ce tiraillement à ne pas savoir quel spectateur j'étais, quel était le code régissant le comportement que l'on attendait de moi, que par la honte partagée par d'autres spectateurs en raison des horreurs racistes qui nous étaient présentées.
Je décris brièvement l'oeuvre, parce que son propos (bien qu'extrèmement pertinent, touchant et nécessaire) n'est pas le sujet de cet article que je voudrais consacrer à cette confrontation des types de spectateurs dans l'interdisciplinarité : Dans une église abandonnée sont présentées des installations qui rapellent celles que l'on peut voir dans les musées d'histoire naturelle. Cependant, les spécimens mis en scène dans ces tableaux sont joués par des humains de race noire qui regardent les spectateurs avec leurs yeux pleins de vie. Chaque installation est accompagnée d'un fiche descriptive, toujours comme dans les musées, expliquant des atrocités commises soit au temps du colonialisme en Afrique, soit beaucoup plus récemment en Europe. Sur les fiches, le spectateur est présent comme matériau de l'oeuvre, au même titre que les animaux empaîllés, le latex et les interprètes.
On n'y échappe donc pas, il y a exposition, de l'oeuvre comme du spectateur. J'explique.
Exposition (selon le dictionnaire Larousse en ligne) :
- Action de mettre en vue; fait d'être montré
- Étalage pour la vente
- Présentation au public d'oeuvres d'art; ensemble des œuvres exposées
- Orientation d'un édifice, d'une pièce, d'un tableau, etc., considérée par rapport à la manière dont ils reçoivent la lumière du jour, le soleil
- État de quelqu'un, de quelque chose qui est soumis à l'influence, à l'action de quelque chose
- Action d'expliquer, de développer, de faire connaître; exposé
J'ai choisi ces quelques définitions qui me semblaient bien s'appliquer à l'oeuvre. D'abord la plus simple à mon sens : Exhibit B, comme son nom l'indique, est une présentation de tableaux vivants (œuvres d'art soignées et d'un esthétisme d'une grande beauté) (3). Mais c'est aussi l'exhibition, comme auparavant, dans les zoo humains, d'êtres considérés comme inférieurs, destinés à la vente, à l'esclavage (2). Dans ce cas-ci, l'exposition est teintée par le regard subjectif que porte Brett Bailey, le créateur, sur des évènements historiques qui résonnent dans son expérience personnelle. Les tableaux sont teintés de sa lumière (4). Ce qui nous amène de l'autre côté de la scène, chez les spectateurs qui sont exposés à l'influence de ce créateur (5) qui cherche, oui, à leur transmettre de l'information par son véhicule imagé qui est celui du tableau vivant (6), mais qui le fait d'une façon extrèmement sensible. Au final, c'est le spectateur qui est exposé, ses réactions mises à nues face au regard des interprètes (1) par différents procédés. C'est là qu'entre en scène le théâtre, dans la création d'une ligne dramaturgique, non pas de l'oeuvre, mais du parcours du spectateur.
La pièce commence dans une antichambre étroite où les spectateurs se voient assignés des numéros qui, tirés au hasard, les feront entrer un par un dans la salle principale. Bien sûr, cela sépare les couples et les amis pour que chacun reçoive l'oeuvre dans un dialogue véritable. Cependant la période d'attente en silence, lorsque l'on n'entre pas dans les premières minutes, plonge dans un état d'expectative, voire de trac, ne sachant pas ce qui nous attend derrière la porte, ayant l'impression de bientôt être appellés à entrer en scène. Bon présage de la suite.
Lorsqu'on pénètre enfin l'église peu éclairée et traversée par la musique d'un choeur de voix masculines, on se retrouve face aux tableaux vivants. Comme je l'ai mentionné plus haut, les interprètes nous regardent dans les yeux. Impossible, donc, d'être un observateur passif de musée traditionnel. On ne peut pas ignorer le fait que l'oeuvre que l'on regarde est humaine. Et ce regard transparent que les acteurs portent sur nous ne nous permet pas de nous défiler, de nous cacher comme un bon spectateur de théâtre, dans la pénombre de la salle. Ce regard rend le spectateur participatif malgré lui. Les interprètes ont ce pouvoir sur lui. Un inversement des rôles, le regardant devient le regardé.
En somme, dans cette œuvre, le spectateur n'est pas de type musée, car il ne peut pas regarder comme il le voudrait, seul avec lui-même, recevoir passivement, obsever pendant des heures sans être gêné. Par contre, il n'est pas spectateur de théâtre non plus, car c'est lui le centre de l'action. Il est acteur. Les interprètes sont aussi acteurs. Où est donc le spectateur dans cette œuvre? me demanderez-vous. Et je répondrai qu'il n'y en a pas. Exhibit B, finalement, n'est pas un spectacle. C'est un lieu d'échange entre être humains qui partagent un passé conflictuel, rempli d'horreur et qui ne réussiront à vivre ensemble que s'ils prennent ce temps pour se regarder dans les yeux, se reconnaître mutuellement.
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